Approfondir Agir actualités Home

Moratoire sur l’exploitation minière des fonds marins

Les députés se prononcent pour un moratoire sur l’exploitation minière des fonds marins
A l’exception du parti Les Républicains et du Rassemblement national, neuf groupes politiques ont soutenu l’initiative du député écologiste Nicolas Thierry et ont invité le gouvernement à « défendre un moratoire sur l’exploitation minière des fonds marins ».
Le Monde / Martine Valo

La France persiste et signe : elle veut freiner la course à l’exploitation des minerais qui gisent dans les profondeurs des océans. Cette fois, c’est l’Assemblée nationale qui l’affirme dans une résolution adoptée dans un élan rare : mardi 17 janvier, par 215 voix pour et 56 contre, la majorité des députés invite « le gouvernement à défendre un moratoire sur l’exploitation minière des fonds marins ». Nicolas Thierry le député écologiste à l’initiative de ce moratoire à soutenu Nation Océan (ZEA) dès sa naissance.

keyboard_arrow_right lire la suite

Pourquoi se priver de ces métaux stratégiques : cuivre, nickel, manganèse, dont l’industrie pourrait avoir besoin ? Parce que aller les extraire des fonds profonds – autrement dit, des zones « les moins accessibles de la planète, et donc les moins connues sur terre », selon l’exposé des motifs de la résolution –, constitue non seulement un risque majeur pour la sauvegarde des écosystèmes océaniques, mais aussi à l’égard d’un milieu qui stocke une grande quantité du dioxyde de carbone émis par les activités humaines. Il s’agit donc d’éviter des « conséquences désastreuses ».
Renaissance, MoDem, Parti socialiste, La France insoumise, Europe-Ecologie-Les Verts : en cette séance de « niche transpartisane », les parlementaires ont cité Victor Hugo, Jules Verne, redoublé de déclarations de bonnes intentions à l’égard de la protection de l’océan, et rappelé tout ce que la planète doit à ce grand régulateur du climat. A part Les Républicains et le Rassemblement national, neuf groupes politiques ont donc choisi d’adhérer à l’initiative du député écologiste Nicolas Thierry (Gironde).
Montrer l’exemple
Pour certains, les déclarations du président de la République, qui a, par deux fois ces derniers mois, exprimé son opposition à l’exploitation des grands fonds, ont compté dans leur choix.
Les images qui circulent sur Internet d’un navire recrachant du haut de sa coque un flot ininterrompu de sédiments noirs ont joué pour beaucoup. Cette vidéo date de la campagne de la société canadienne The Metal Company, qui a obtenu un « permis test » en septembre 2022 pour aller quérir un peu plus de 3 000 tonnes de nodules polymétalliques à 4 000 mètres sous la surface du Pacifique.
Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Métaux rares : ces entreprises lancées dans la course aux abysses
« Il ne peut pas y avoir d’exploitation minière sans dommages irréversibles pour les écosystèmes marins », a d’ailleurs conclu Hervé Berville, secrétaire d’Etat chargé de la mer. Par souci de « cohérence et de crédibilité », la France, a-t-il affirmé en substance, ne peut réclamer un moratoire sur ces activités industrielles délétères en haute mer, sans montrer l’exemple dans ses propres eaux. Il est donc mis fin à un projet de démonstrateur d’exploitation sous-marine.
La résolution de l’Assemblée nationale suggère que le gouvernement reste sur cette position « tant qu’il n’aura pas été démontré par des groupes scientifiques indépendants et de matière certaine que cette activité extractive peut être entreprise sans dégrader les écosystèmes marins et sans perte de la biodiversité marine ». Au-delà du principe de précaution, ainsi affirmé pour longtemps, le texte voté et les interventions des parlementaires ont mis en cause le fonctionnement et l’opacité de l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM).
Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Code minier : négociations tendues au sein de l’Autorité internationale des fonds marins
Cette organisation – qui a le pouvoir de délivrer des permis d’extraction de minerais et s’apprête à le faire dès qu’elle se sera dotée d’un code minier – a nettement intensifié le rythme de ses travaux afin d’en adopter un dès le mois de juillet. Le temps presse, donc. Les députés souhaitent que la France « bloque l’adoption de toute réglementation » ainsi que l’octroi de licences provisoires d’exploitation par l’AIFM. Ils appellent à réformer cette structure afin d’obtenir la garantie « d’un processus décisionnel et réglementaire transparent, responsable, inclusif et respectueux de l’environnement ».
« C’est tout sauf gagné »
Voilà donc la représentation française majoritairement à l’unisson… ce qui ne présage en rien des orientations internationales. Seule une douzaine d’Etats ont pris position soit pour un moratoire, soit pour une simple pause alors que la volonté d’aller extraire les ressources de l’océan semble s’accélérer. « C’est tout sauf gagné », estime François Chartier, chargé de campagne pour Greenpeace, l’une des ONG qui suivent ce dossier crucial de très près.
Nicolas Thierry, qui a porté la résolution dans l’Hémicycle, veut rendre hommage aux militants et aux scientifiques : « Sans eux, rien n’aurait été possible », confie-t-il. Le texte dont il a travaillé la formulation avec l’aide du député du Morbihan Jimmy Pahun (MoDem) a demandé pas mal de pédagogie. « Nous avons œuvré plusieurs mois auprès des députés afin de parvenir à une proposition qui comptait près de 170 signatures transpartisanes au moment de son dépôt, le 7 novembre 2022. »
Ne reste plus qu’à convaincre suffisamment d’Etats pour arrêter la course au saccage des abysses. Nicolas Thierry se montre confiant : la France étant la deuxième plus grande nation maritime du monde compte tenu de la superficie de sa zone économique exclusive, « l’AIFM ne peut pas se passer d’elle ».